29 Octobre 2010
Continuons à feuilleter les vieux livres. Cette semaine, un texte sur les bains de mer. Ce texte humoristique de Lucien Puech écrit en 1886 relate l'épopée des bains de mer. Même si l'auteur ne mentionne pas de quelle station balnéaire il s'agit, on peut tout à fait imaginer une telle scène à Pornichet à la fin du 19e siècle...
"Oh ! Les bains de mer ! On n’entend parler que de bains de mer ! Bains de mer par ci, bains de mer par là, et les voitures pleines de malles , les gares bondées ! Ca fait bâiller le bourgeois. Moi aussi j’ai bâillé seulement j’ai voulu voir et je suis allé aux bains de mer !
J’ai pris le train, les troisièmes, aller et retour. A l’arrivée, en descendant de la gare, pas plus de mer que sur ma main. J’ai demandé à un employé où était la mer ? Il m’a indiqué une rue mal pavée, un réverbère au bout et m’a dit : c’est là. Alors j’ai vu la mer.
Figurez-vous…de l’eau, de l’eau partout qui ne finit jamais. C’est affreux. Je suis allé à l’hôtel. Un hôtel très bien – un monsieur très bien, comme l’hôtel, m’a fait donner une chambre…au cinquième, au fond de la cour ! A Paris, on appelle ça une chambre de bonne. Aux bains de mer, c’est une bonne chambre. J’y suis monté ; je l’ai trouvé mauvaise. Une vue de derrière, ça ne dit pas grand chose. Je suis descendu pour déjeuner. Un monde fou, les uns sur les autres pour manger mal.
Par exemple il y a beaucoup de garçons ; seulement comme tout le monde les appelle en même temps, ils ne servent personne. Ils crient voilà ! voilà ! Mais ils ne viennent jamais. On étouffe. J’étais en nage, je suis retourné voir la mer. Toujours la même chose : unie comme un fromage de Hollande ! Alors je suis entré dans un jardin pour entendre de la musique. Un monde fou. On se marche sur les pieds. Les hommes regardent les femmes, les femmes les hommes et quand c’est fini on s’en va…au bord de la mer ! Je commence à en avoir assez de voir la mer !
IL est 4 heures, c’est le moment des bains. Sur la plage se trouvent des cabines. Figurez-vous des guérites de soldats fermées les unes à la file des autres. IL y a le côté des hommes et le côté des femmes, comme dans les gares. On s’y déshabille dans ces guérites. Les femmes en sortent avec des costumes…je ne vous dis que ça. C’est honteux ! Je ne comprends pas qu’un gouvernement qui se respecte laisse les femmes en plein air dans un costume pareil ! Notez que moi je les ai trouvé charmantes et leurs costumes ravissants. C’était très drôle de voir de grosses grosses femmes courtes à côté de grandes minces. Des petites, des jeunes, des vieilles. Tout ça pêle-mêle, et vous savez, pas moyen de mettre de faux machins ou de fausses choses, il faut montrer ce qu’on a ! Et bien il n’y en a pas des masses ! Et les hommes ! Oh ! Les hommes ! C’était à pouffer de rire. Des gros ventres sur de petites jambes. Des têtes rondes, chauves, de grandes moustaches. Et les pschutteux, pas râblés les pschutteux ! C’est triste ! C’est triste !
Quand tout ce monde là se jette à l’eau, c’est un vrai coucher de lunes ! Il y a des cordes qui séparent les sexes, mais je vous demande un peu comme c’est malin pour ceux qui savent nager, de passer dessous et d’aller voir ces dames ! C’est indécent ! Ce qu’il y a de plus amusant, c’est la sortie ! Les femmes avec leurs costumes collants sont à croquer. Aussi on lorgne et les maris sont enchantés. Ils ont l’air de se dire : c’est à moi tout ça – oh ! à toi… - c’est indécent !
C’est alors que j’ai vu des guérites à roulettes qu’on faisait avancer dans la mer. J’ai demandé à un monsieur si c’étaient des personnes malades que l’on transportait. Je ne sais pas ce qu’il m’a répondu. Il m’a parlé de mer qui se retire. J’ai haussé les épaules. Il était 5 heures. Voir tous ces gens se baigner, ça m’a donné envie d’en faire autant. Je nage comme un wagon, mais ça ne fait rien. Je suis entré bravement dans la mer et me suis écorché les pieds. Il n’y a pas de fond de bois comme à Paris ! C’est un fond de cailloux. Pendant que je regardais mes pieds, je n’ai pas vu une vague qui arrivait et qui a passé par dessus ma tête. J’ai eu peur, j’ai ouvert la bouche – et j’ai avalé une de ces gorgées d’eau ! Pouah ! C’était salé ! J’ai voulu cracher, une seconde vague et encore plein la bouche et toujours salé ! J’en avais assez. Je suis parti, seulement je suis toujours à me demander pourquoi ce jour-là l’eau était salée.
Il se faisait tard ; l’heure du dîner. La salle encore pleine, une chaleur lourde, ça m’a ôté l’appétit. J’ai tout de même pris le potage et demandé du poisson ; on m’en apporte un qui a une drôle de mine. Il est mou. Je me plains. Le garçon me dit « Monsieur sait bien que par cette chaleur le poisson ne peut arriver frais ». « Arriver d’où ça ? ». « De Paris, Monsieur ». Ah ! venir aux bains de mer manger un poisson de Paris ! C’est trop fort ! Je me suis levé et suis allé faire un tour au bord de la mer. Toujours cette mer bête – c’est une obsession ! Le casino est ouvert. Je suis entré ; il faisait trop chaud, je suis sorti. Le froid m’a saisi à la gorge. Je suis allé me coucher, je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. Il y avait bal à l’hôtel. Probablement des gens riches qui étaient venus pour se reposer. Le lendemain, en me levant je ne pouvais plus parler. J’ai demandé le médecin qui m’a conseiller de partir me soigner à Paris, en ajoutant que la brise de la mer m’était nuisible. Je suis descendu payer ma note : j’en avais pour 60 francs ! On m’a compté le bal des gens riches. J’ai essayé un quart d’heure de rabais ; mais inutilement. Je suis parti furieux …au bord de la mer. Oh ! Cette mer ! Quel cauchemar ! Je lui ai tourné le dos et j’ai couru à la gare sans m’arrêter ; je me serai noyé. J’ai pris le train et suis arrivé à Paris. J’allais donc enfin me reposer ! Mais mon mal de gorge m’était tombé sur la poitrine pendant le voyage. J’en ai eu pour six mois, dans mon lit !
Voilà ce que c’est les bains de mer !"
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